La femme-bleus

Les coups : bas, pour ne pas laisser de traces
Et beaucoup d’insultes en pleine face
« Tu devrais rester à ta place ! »
Il n’y a pas que les os qui cassent

 

On te dit de ne plus avoir honte
Mais une femme battue a perdu
Alors elle se tait, elle se tue
Et plus rien ne montre

 

Seule sa taie d’oreiller entend ses pleurs et le silence cache ses plaies
Elle ne se découvre plus, de peur que soit découvert son secret
Et porte les hématomes de l’homme qu’elle aima
Bleu monochrome, violet deci delà

 

Les murs ont des oreilles et les gens leur lâcheté
Les voisins surveillent leur sommeil et protègent leur tranquillité
Le visage taciturne et les traits tirés
Le vrai tapage nocturne, elle, elle le connaît

 

Quand il lui fait sa fête il n’y a jamais d’invités
Elle est seule à voir sa gueule rouge et ses yeux noirs
Les voisins ne voient rien non ! Ils ne font qu’écouter
Tous le décrivent comme un « m’sieur gentil, sans histoires »

 

Pourtant des histoires, il ne fait que s’en inventer
Il s’en vante croyant deviner et ne veut pas la croire
Chaque soir c’est l’interrogatoire et puis son procès
« Tu crois que j’sais pas ce que tu fais ? Tu vas voir… »

 

Ensuite il revient, sanglotant
« Je ne serais pas comme ça si je ne t’aimais pas autant
Je suis désolé de te faire saigner, d’être violent
Mais je le fais pour t’enseigner, te montrer ce que je ressens »

 

Le paradoxe boxe, fait des bosses profondes
Elle voit ses angles quand lui tourne en rond
Changer un homme ça lui semble un monde
Il va toujours « arrêter de boire pour de bon »

 

Elle ne l’aime plus, elle subit mais que serait-elle sans lui ?
Quand il l’entraîne sur le lit sans la moindre affection
Elle fait abstraction, ne crie plus non
Et attend qu’il ait fini…

 

Elle prend tellement sur elle qu’il ne reste plus rien
C’est trop tard pour partir c’est déjà quotidien
Et trop tôt pour mourir ? Elle ne sait plus très bien
Elle voudrait disparaître. Enfin !

 

C’est seulement après qu’il soit parti qu’elle s’échappe
Dans ses rêveries qui passent en boucle et qu’on capte
Par antenne. Ses héroïnes de séries
Morne parenthèse à la spirale qu’est sa vie
Puis, vient le jour du test où elle comprend que si elle reste

 

Il peut lui prendre bien plus précieux qu’elle,
Alors elle essaye, elle se redresse
Car elle porte une tendresse qui s’emporte d’un tir d’ailes

 

Mais elle refuse de faire partir sa grossesse
Ou de faire pâtir l’enfant de ses mauvais gestes
Alors pour que dans l’amour qui blesse
La bassesse cesse…

 

Coups de fil contre coups de poing, elle devient une battante
Aux pulsions suicidaires des vraies envies succèdent
Les choses auxquelles elle tient d’un coup la rendent présente
Elle est consciente d’être en vie mais a besoin d’aide

 

Elle veut qu’après les coups et les cris viennent l’écoute et l’écrit
Mais la police, loin d’être uniforme, est pleine de bleus elle aussi…
C’est pas pour fuir mais pour se sauver qu’elle claque la porte
Pourtant on ne la verra que victime jamais forte

 

Elle ne voit que des petites frappes
Qui croient tout savoir et qui frappent
Leur rapport plein de fautes de frappe
Sur ses rapports avec celui qui la frappe

 

Mais dans la loi il n’y a pas de sentiments
Seulement des injonctions d’éloignement
Elle n’est pas celle qui comprend
Car elle est là pour protéger les gens

 

Et d’un coup c’est lui qu’on juge, qui doit rendre des comptes
La vie commence à reprendre quand il est arrêté
Et pendant qu’il purge sa peine à l’ombre,
Ses bleus s’estompent et finissent même par s’effacer

 

Elle garde ses cicatrices pour se rappeler qu’elle a été triste
Elle sait qu’elle a bien fait quand elle regarde son fils
Qui ne baisse pas la garde devant les actes sexistes
Et qui sait que le respect protège de l’amour dirigiste

©Clionne / Chloé Subra de Bieusses